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Un salon des sciences sociales à Oran du 19 au 21 novembre 2022

Un salon des sciences sociales à Oran du 19 au 21 novembre 2022

Article de Mohamed Mebtoul, sociologue, Professeur à l’Université d’Oran et directeur du Groupe de recherche en anthropologie de la santé (GRAS)

A l’initiative du Professeur Mohamed Mebtoul, coordinateur scientifique, le premier salon des sciences sociales sera co-organisé par l’Unité de recherche en science sociales et santé (GRAS), le Centre d’Etudes Maghrébines en Algérie (CEMA), le Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle (CRASC) et l’Université Oran 2. Un comité scientifique  composé de  chercheurs des disciplines des Sciences Sociales, travaille de façon autonome pour la concrétisation de ce projet en référence aux trois objectifs suivants :

  • le premier objectif est de montrer l’importance des Sciences Sociales (droit, économie, philosophie, histoire, sciences politiques, démographie, sociologie, psychologie, anthropologie, sciences du langage, etc.) dans la compréhension et l’explication des différents faits sociaux, juridiques, économiques, culturels et politiques qui émanent de la société et des institutions. Les multiples lumières des Sciences Sociales feront l’objet d’une large diffusion au profit des acteurs sociaux. Ouverture sur la société et débats pluriels imprégneront l’esprit  du  premier  salon des Sciences Sociales.
  • Le deuxième objectif  est focalisé sur la visibilité sociale et pédagogique des recherches souvent éclatées des Sciences Sociales. Un double moment scientifique sera valorisé : permettre  aux chercheurs des sciences sociales d’échanger autour de leurs travaux respectifs, et de les présenter  au public  qui  aura l’opportunité d’en débattre directement avec leurs auteurs. Le salon des Sciences Sociales sera un espace qui articulera la  convivialité et la curiosité scientifique,  en mettant en exergue les contributions des Sciences Sociales pour parvenir à une intelligibilité  des évènements historiques et  ceux du présent marquant les différentes  sociétés.  Les méthodes, les postures  et les résultats des Sciences Sociales mobiliseront un langage approprié,  clair et concis pour permettre au public diversifié de juger de  la pertinence de nos disciplines. Le salon des Sciences Sociales donnera la priorité aux interventions  didactiques et rigoureuses. Elles seront enrichies par les expositions, les ventes-dédicaces, la valorisation des publications des jeunes chercheurs, la présentation d’une pièce théâtrale et d’un film documentaire. Le salon des Sciences  Sociales se veut être aussi un espace pédagogique.
  • Le troisième objectif  devra permettre au salon des Sciences Sociales, d’impulser la passion de nos disciplines auprès des jeunes lycéens et étudiants. C’est ce déclic centré sur l’amour de nos savoirs qui représentera le défi  que devra concrétiser  le salon des Sciences Sociales.

Un appel à contributions a été lancé sur les 3 axes suivants :

  • Histoire critiques des sciences sociales au Maghreb
  • Les terrains des sciences sociales
  • Résultats significatifs des recherches en sciences sociales

La date limite de réception des contributions est le 31 mai 2022.

Télécharger l’appel à contributions. 

L’enjeu: croiser les différents savoirs dans le domaine des sciences sociales et de la santé

Les territoires disciplinaires des sciences de la santé ne permettent pas aujourd’hui, des remises en cause salvatrices, des ouvertures profondes vers et pour la société. Elles se limitent à produire respectivement des connaissances parcellaires, des régimes de vérité éclatées, peu partagées,  fortement hiérarchisées. Elles mettent davantage en valeur une « objectivité » des savoirs,  oubliant la richesse de la subjectivité des personnes qui attribuent aussi du sens à leurs maladies et à leurs douleurs. Force est de relever qu’elles laissent en arrière-plan un foisonnement des savoirs multiples peu reconnus, invisibles et  socialement déconsidérés. Ils font pourtant partie de notre quotidienneté profondément sous-analysée en raison de la prégnance d’un ordre social, scientifique et politique qui  impose par le haut ses différentes injonctions.

On assiste à une hégémonie des frontières artificielles entre les différents types de savoirs dans le champ de la santé, de la maladie et de la médecine. Elles fonctionnent par éclatement et fermeture, s’interdisant toute rencontre au sens puissant du terme avec l’Autre. Le renouvellement épistémologique est pourtant conditionné par le métissage scientifique et profane, devant permettre une toute autre dynamique scientifique, pédagogique et politique  entre la société et les chercheurs.  Le premier salon des sciences sociales à Oran prévu du 19 au 21 novembre 2022 représente modestement une opportunité pour permettre le croisement d’un double regard, à la fois entre les chercheurs des différentes disciplines en sciences sociales et celui de la population.

Entretien avec Mohamed Mebtoul publié dans le journal El-Watan le 4 avril 2022

Vous coordonnez le projet de « premier Salon des Sciences sociales à Oran », lancé à l’initiative de l’Unité de recherche en Sciences sociales et Santé-Université Oran2 (GRAS).  Un comité scientifique composé de chercheurs des disciplines des Sciences Sociales, est déjà à pied d’œuvre pour réussir l’événement prévu du 19 au 21 novembre 2022. Comment est né ce projet ?

Mohamed Mebtoul : Il est né à partir d’un rêve qui date de quelques années.  Il nous a semblé important de  s’engager avec ferveur et passion dans l’utopie, y croire profondément, pour  tenter progressivement et de façon très pragmatique de l’organiser collectivement, en discutant avec  certains  collègues des dix disciplines qui constituent en grande partie les sciences sociales (droit, économie, philosophie, sciences politiques, histoire, sociologie, démographie, anthropologie, psychologie, sciences du langage). On  rappellera que le salon des sciences sociales est co-organisé par l’Unité de recherche en sciences sociales et santé ( Université d’Oran 2), le Centre d’Etudes Maghrébines en  Algérie, le Centre de recherche en Anthropologie  Sociale et Culturelle (CRASC).  Le projet a été partagé de vive voix avec les responsables des  facultés concernées,  dépendantes de  l’Université d’Oran 2, Mohamed Ben  Ahmed,  en insistant sur  l’importance d’un salon des sciences sociales pour le devenir de nos disciplines. Ce projet est enfin  ouvert, sans exclusive à tous les chercheurs des sciences sociales qui souhaitent apporter leurs contributions.

Le projet résulte enfin d’un constat largement partagé par beaucoup d’entre nous :   la déliquescence de nos disciplines considérées de façon simpliste comme la cerise sur le gâteau, enfermées dans le tourbillon politico-administratif qui régente tout et sous tutelle, en partie à l’origine du  statu quo et  de l’accommodement,   conduisant bien souvent  le chercheur  à  se reconvertir  dans le statut de fonctionnaire. L’exemple le plus significatif est   l’organisation d’un colloque international. Ce dernier est soumis à des règles administratives qui sont de l’ordre de l’étrangeté scientifique. Il est demandé au chercheur, avant d’engager l’appel à participation, les noms des communicants, et ceux  des agents de sécurité,  en remplissant  un double canevas qu’il s’agit de soumettre   pour « évaluation » stricte des normes administratives exigées, aux différents responsables (direction  générale de la recherche et ministère de l’enseignement supérieur).

Le chercheur dont les qualités premières est de douter, d’être en permanence dans la  curiosité scientifique, l’engagement,  et  le débat contradictoire, se voit aujourd’hui assigner le rôle d’expert  « utile ». Le mot est  devenu récurrent dans l’espace universitaire. Il est loin d’être neutre. Il s’agit de nous assigner la posture du « technicien » qui doit nécessairement être dans le prescriptif (« il faut que.. .),  occultant   la complexité,  et l’hétérogénéité qui marquent profondément le fonctionnement des institutions économiques et sociales avec celui des mondes sociaux de la recherche en sciences sociales. Celles-ci mobilisent nécessairement l’autonomie, la critique rigoureuse et la liberté de penser, pour tenter de  comprendre profondément les jeux et les enjeux sociaux qui se cristallisent au sein de la  société qui reste   profondément sous-analysée. Nous souhaitons  que le premier salon des sciences sociales, puisse  montrer et démontrer  la pertinence   de nos disciplines qui sont incontournables  pour décrypter de façon à la fois scientifique et pédagogique les différentes thématiques centrées  par exemple sur la ville, la santé,  les langues, l’université, le syndicalisme,  les mouvements sociaux, etc., sans oublier  son aspect formateur, en proposant d’organiser  des tables-rondes organisés par et pour les doctorants.  Face à un public diversifié, la dimension pédagogique  est  centrale pour lui permettre la compréhension de nos différentes disciplines.

Un appel à contributions est lancé. Y a-t-il eu engouement de la part des chercheurs ?

M.M: Nous  ne sommes pas limités à lancer administrativement un appel à contributions. Nous avons mobilisé tous nos réseaux, parlé et discuté avec les collègues algériens ici et ailleurs, en leur demandant s’ils pouvaient   contribuer  par une intervention  ou  coordonner un panel  ou une table-ronde.  Les réactions ont été positives. Les  nombreux collègues contactés ont apprécié l’initiative.  Qui d’autres que nous chercheurs en sciences sociales, pour  tenter de redonner du sens et de la puissance cognitive  à nos disciplines.  Comment peut-on rester indifférents à la dépréciation des sciences sociales quand on observe dans la société,  l’hégémonie de salons  focalisés sur la consommation des biens divers (salon de l’ameublement,  des médicaments, des robes de mariage, etc.).  Cette aliénation par le consumérisme dans la société,  refoule tout ce qui est de l’ordre de la pensée autonome et critique. Elle est pourtant impérative pour permettre une réflexion poussée sur le fonctionnement de  nos institutions et de la société. Seules les sciences sociales dans la diversité de leurs paradigmes, peuvent produire de la lumière sur les différents phénomènes sociaux, économiques, juridiques, culturels et politiques. Le philosophe autrichien Karl Raimud Popper, évoque à propos des sciences sociales, le mot métaphorique de phare  permettant d’éclairer et d’accéder à une intelligibilité des réalités  sociales apparaissant opaques, obscures et complexes.

D’aucuns estiment que les sciences sociales en Algérie connaissent plusieurs difficultés (désaffection des chercheurs, conditions de travail aléatoires, absence de nouveaux paradigmes pour la prise en charge des problématiques actuelles,  non visiblilité des travaux, etc.). Comment expliquez-vous cette situation ?

M.M: Pour avoir tenté de  travailler longuement sur la santé, la maladie et la médecine,  je n’hésitais pas  à  participer activement aux différentes rencontres scientifiques organisées par les  institutions de santé et ses acteurs sociaux.  Il me semblait intéressant d’indiquer ici  la prégnance d’un ordre scientifique hiérarchisé entre les différentes sciences étiquetées faussement de « dures » et de  « molles », allusion pour ce dernier mot à nos disciplines centrée sur l’Homme et   qui va paradoxalement « disparaitre » au profit de l’organe dans les sciences médicales,  oubliant que tout désordre biologique grave aboutit inéluctablement à une réorganisation  de la  vie sociale et  familiale du patient et de ses proches. Ceci pour indiquer que la dévalorisation des sciences sociales est structurellement puissante. Elle  se reproduit dans l’orientation des étudiants  dans  certaines de nos disciplines (sociologie, anthropologie, etc.) choisies en général par défaut par ces derniers, en raison de la note de 10 de moyenne obtenue au baccalauréat  qui n’est pas pour favoriser les vocations et les passions des étudiants.   Les sciences sociales sont au plus de l’échelle des valeurs,  peu comprises pour la plupart d’entre elles  par les acteurs de la société; d’où l’intérêt d’un salon des sciences sociales, pour  tenter  de faire aimer nos disciplines à un public diversifié.

L’un des objectifs assignés à cet événement est de « montrer l’importance des sciences sociales   dans la compréhension et l’explication des différents faits sociaux, juridiques, économiques, culturels et politiques qui émanent de la société et des institutions ». Vous ambitionnez de lancer à cette occasion des « débats pluriels » en direction de la société.  Pourriez-vous nous donner plus de détails?

M.M: L’objectif général est   de permettre aux sciences sociales, d’investir activement l’espace public, d’engager le débat  contradictoire et pluriel  entre les chercheurs et avec le public diversifié, à la fois sur l’histoire critique des sciences sociales,  la façon dont  nous menons nos investigations (les terrains de nos différentes disciplines) et les  résultats significatifs de nos recherches respectives. Le premier salon des sciences sociales, se veut  à la fois pédagogique, scientifique et convivial, pouvant s’identifier à  une fête de nos disciplines.  Il sera   constitué de courtes interventions (15 minutes) en plénière,  tout en privilégiant   les panels sur  les différentes thématiques, par le croisement des  regards du juriste,  de l’historien, du sociologue ou de l’économiste, etc.  Enfin, les sciences sociales ne seront pas exclusives,  Le salon  sera enrichi d’une pièce de théâtre et d’un film documentaire. Nous avons pensé à celui de Bourdieu sur  la sociologie  comme  un sport de combat. Nous prévoyons enfin la présence des éditeurs  qui auront la possibilité d’organiser des ventes-dédicaces de leurs ouvrages. Enfin, un hommage  visuel sera rendu  aux collègues des sciences sociales, qui nous ont quittés durant ces deux dernières années. La reconnaissance sociale est importante pour ne pas oublier ce qui a été entrepris  souvent dans l’invisibilité par les chercheurs.  Cette  configuration  scientifique et éditoriale sera précisée durant   les mois prochains quand nous recevrons tous les résumés des interventions et  la proposition d’organisation des panels avant le 30 avril 2022.

Vous avez aussi pour objectif de « rendre visibles » des recherches « souvent éclatées ». Comment comptez-vous procéder pour atteindre cet objectif ?

M.M:  Le premier salon des sciences sociales  doit  permettre d’accéder à la visibilité sociale et pédagogique des recherches souvent inconnues, ignorées même par les universitaires. Que dire alors du public ? Il est important de déterrer et de mettre en  valeur les travaux menés par les doctorants et les chercheurs, en leur consacrant du temps pour les présenter  dans les discussions informelles,  en les encourageant enfin  à les publier dans des revues de référence, en insistant sur le nécessaire travail critique pour lutter contre le populisme « scientifique » qui n’aide pas les jeunes doctorants à  intérioriser une posture  devant intégrer la rigueur, la cohérence et la clarté. Il s’agit d’insister sur le fait que la recherche est une pratique sociale qui exige beaucoup de temps et d’ énergie,  en raison de la nécessaire connaissance des travaux  antérieurs, des enquêtes de terrain à mener  et de leurs décryptages. Le salon des sciences sociales tentera de s’inscrire dans le métissage à la fois générationnel et  disciplinaire pour  démystifier le cloisonnement ou l’enfermement entre soi,  qui persiste à proposer ou  à imposer  un seul régime de vérité.

Les organisateurs veulent impulser à la faveur de ce salon « la passion de nos disciplines auprès des jeunes lycéens et étudiants. C’est ce déclic centré sur l’amour de nos savoirs qui représentera le défi que devra concrétiser le salon des Sciences Sociales»…

M.M: La recherche ne  peut pas être identifiée à un métier routinier qui impose des horaires  précis de travail.  Il ne s’agit  pas d’expertiser en surplomb la société, mais de la comprendre du dedans. En conséquence, la « beauté » de  la recherche, ne peut que s’inscrire dans les  fluctuations temporelles importantes, un investissement conséquent sur le terrain, pour aller à la rencontre des populations  afin de restituer et de traduire leurs mots et leurs pratiques quotidiennes qui ont  un sens  à leurs yeux. Nous souhaitons effectivement transmettre  l’idée que la recherche est une passion qui permet sans cesse de questionner les différents mondes sociaux  fabriqués par les personnes. La société  algérienne constitue un gisement de savoirs pluriels encore peu mis en valeur ; d’où l’impératif de l’humilité intellectuelle  et le refus des certitudes tranchées qui sont l’antithèse de la recherche.