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Le choléra en Haïti : retour ou réveil ? – Par Erold Joseph

Le choléra en Haïti : retour ou réveil ? – Par Erold Joseph

Article publié dans le Réseau Haïtien de Journalistes en Santé (RHJS) le 1er novembre 2022 – Par Erold Joseph, Directeur de la Santé scolaire, Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP). Il fait partie d’une série d’articles visant à analyser les différents enjeux de la résurgence de l’épidémie de choléra en Haïti. 

Selon une estimation récente de l’Organisation Mondiale de la Santé,  l’on recenserait entre 1,4 à 4,3 millions de cas de choléra chaque  année, dans le monde. Un total  de 28,000 à 142,000 décès (1) serait imputable à cette maladie qui présente une  affinité particulière pour les pays pauvres. Et pourtant, notre Haiti a longtemps été épargnée.  Il a fallu attendre octobre  2010, soit 9  mois de gestation, après le séisme du 12 janvier 2010  pour que naisse chez nous, cette épidémie responsable de 10000 décès, dont celui, emblématique, du petit Gabo, enfant de 9ème année fondamentale de l’ « école Santé Zéro ». Après huit années de travail acharné des institutions étatiques supportées par une communauté internationale laquelle a voulu réparer sa « négligence coupable », l’élimination du bacille responsable de l’épidémie  a été officiellement déclarée, le 4 février 2022, par les autorités nationales qui attendent toujours le « certificat d’élimination ».   Ce diagnostic de santé publique repose sur l’« absence de cas confirmés, avec des preuves de non transmission locale pendant trois années consécutives ». (2)  Le 2 octobre 2022, à  l’occasion  des troubles sociopolitiques et économiques majeurs qui ravagent le pays depuis environ quatre ans, le choléra  refait son apparition, causant déjà plus d’une centaine de décès, s’ajoutant ainsi à la liste des grands tueurs : violence criminelle,  kidnapping, faim, misère, corruption, mauvaise gestion de la cité. S’agit-il d’un retour ou d’un réveil ? Cette série qui se veut à la fois scientifique, objective,  historique  et vulgarisatrice vous aidera peut-être  à y répondre….

Qu’est-ce qui cause le choléra ?

Le choléra est une maladie infectieuse gastro- intestinale d’évolution rapidement mortelle causée par un bacille gram négatif en forme de virgule, appelé Vibrio cholerae. Néanmoins, tous les Vibrio cholerae ne provoquent pas la maladie. Pour que ce microbe devienne pathogène, il doit intégrer dans son génome, c’est-à-dire dans  l’ensemble de ses gènes, un virus bactériophage CTX, ce qui lui permet alors de produire la « toxine cholérique » laquelle entraine une  diarrhée intense, avec troubles électrolytiques, responsable d’une mort brutale.

L’agent pathogène (causal) a été identifié pour la première fois, en 1854, par un médecin microbiologiste italien du nom de Filippo Pacini. En réalisant l’autopsie des patients décédés de la maladie, il découvrit au microscope, dans leur intestin, le germe en forme de virgule, d’où l’appellation italienne « Vibrio » qui signifie « virgule ».

Toutefois, bien avant Pacini, en observant les différentes épidémies  de choléra qui ravagèrent l’Angleterre en 1832, 1848 et 1853, le médecin anglais John Snow, avait déjà pu établir le lien entre la pathologie et l’eau contaminée. Il a réalisé, à l’époque, une véritable cartographie des lieux de résidence et de travail des victimes du  choléra et  a  pu ainsi établir la corrélation avec la pompe à eau de Broadway qui alimentait la population en eau. Le puits  en question était en effet pollué par les matières fécales régulièrement  déversées dans le fleuve La Tamise. Il a donc fermé la pompe, stoppant ainsi l’épidémie. A cette époque, le secteur médical,  à part de rarissimes exceptions, notamment Pacini et Snow, rejetaient la « théorie des microbes et de l’infection ou contagion», au profit de la « théorie des miasmes ». Selon cette dernière, le contact physique entre les êtres vivants  ou, entre un être vivant  et un microbe, n’était point nécessaire à l’apparition des maladies infectieuses. Ces dernières, telles  la peste, le choléra, la typhoide et autres  étaient plutôt  imputables aux mauvaises odeurs ou « miasmes » provenant de la grande insalubrité de l’époque. L’on tirait alors régulièrement des coups  de canon dans l’air pour évacuer ces « miasmes » en vue de  prévenir les maladies infectieuses. Ceci se passait en France, en Angleterre, aux Etats-Unis et au Canada durant tout le XIXème siècle appelé «  siècle de l’hygiénisme ». En dépit de certaines idées erronées de l’époque, l’accent mis sur l’environnement, la qualité de l’eau  et la salubrité publique a permis à la médecine et à la santé de faire un bond prodigieux.   John Snow et Filippo Pacini  doivent donc, en fait, être considérés comme les grands  précurseurs de l’épidémiologie et de la santé publique ceci, bien avant le grand britannique du XXème siècle : Thomas Mc Keown.

Néanmoins, il faudra attendre  l’année 1883 pour que Robert Koch, médecin et microbiologiste allemand, découvreur du bacille de la tuberculose, confirme la trouvaille de Pacini tout en s’attribuant  la paternité de  la découverte du germe qu’il  appela tout de même « Vibrio cholerae ».

Il existe environ 200 types de Vibrio Cholerae ou « vibrions cholériques ». Toutefois, seules les souches O1 et O139  produisent la toxine et donc, le choléra.  Signalons que la toxine cholérique a été découverte dans les années  1960 par deux biologistes indiens : Sambhu Nath De et Nirma Kumar Dutta. La souche O1 était  responsable de l’épidémie haïtienne de 2010.

Comment se manifeste le choléra ?

Les  symptômes du choléra apparaissent généralement de quelques heures à 5 jours après la contamination : c’est la « période dite d’incubation » laquelle sépare la pénétration du germe dans l’organisme de  l’apparition des premières manifestations. Ces dernières consistent en des  douleurs abdominales à type de crampes et  une diarrhée aqueuse très abondante, dite « eau de riz », provoquée par la « toxine cholérique » et entrainant une déshydratation sévère conduisant à la mort en quelques heures. Généralement, il n’y a  pas de fièvre.  Certains individus peuvent également présenter des vomissements. La perte massive d’eau et d’électrolytes (sodium, potassium, chlore, bicarbonate) explique cette mort rapide et  brutale. Aussi le traitement du choléra, efficace à condition d’être entamé le plus rapidement possible, consiste-t-il en une réhydratation massive par perfusion intraveineuse (solutés). En attendant cette mesure thérapeutique urgente, le sérum oral (eau contenant du sucre et du sel ou tout autre  liquide sûr ) peut aider. Les antibiotiques sont peu ou pas efficaces à cause de la fréquente résistance médicamenteuse. Par ailleurs, environ 70 à 80% des sujets infectés ne développent aucun symptôme. On les appelle des « porteurs sains » parce qu’ils détiennent tout de même le germe dans leur intestin et dans leurs selles et donc, peuvent le transmettre.

Comment se transmet et se propage le choléra ?

Le Vibrio cholérae, microbe aquatique par excellence, survit parfaitement dans le tube digestif, particulièrement l’estomac et les intestins des personnes infectées. D’où sa présence en très grand nombre dans les selles et les vomissements des malades. La pathologie  est contractée soit en buvant de l’eau contaminée, soit en ingérant  des aliments préalablement souillés par les matières fécales. Elle peut aussi se transmettre par les mains, suite à la manipulation des aliments (fruits, légumes crus)  après avoir été à la selle. C’est la  « maladie dite  des mains sales ». D’où l’impérieuse nécessité, surtout en période épidémique, d’éviter les poignées de mains, de  laver ces dernières  avec du savon ou de l’eau chlorée, notamment après avoir fait ses besoins et avant de manger. Les mouches, les rongeurs, les ravets et autres insectes peuvent aussi transporter allègrement le microbe sur nos mets  en fréquentant nos latrines, nos fosses d’aisance. Par ailleurs, en période épidémique, les cadavres des personnes décédées représentent une source importante de dissémination du mal. D’où la pratique systématique de l’incinération.

Le choléra, comme la typhoïde, les parasitoses et  l’hépatite B font donc  partie des pathologies dites « orofécales » lesquelles se contractent  par l’ingestion de matières fécales, en quantité certes, infinitésimale. Ces maladies « liées au péril fécal » frappent essentiellement  les pays pauvres et  traduisent une mauvaise hygiène environnementale : insalubrité, manque d’eau, pour la consommation et l’usage personnel, absence ou carence de toilettes ou  latrines, défécation en pleine nature, surpopulation, promiscuité, faible niveau d’éducation, manque d’accès aux soins primaires de base. Autant de conditions existantes dans les « pays dits en voie de développement » et qui étaient, au XIXème siècle, le lot  des « pays développés » actuels.  Pour éradiquer, une fois pour toutes, ces pathologies, il faut agir en amont et en profondeur, sur leurs  « déterminants environnementaux et comportementaux ». Signalons que les catastrophes naturelles ou humaines (séismes, cyclones, inondations, violence, kidnappings ) lesquelles entrainent des déplacements majeurs de populations et affaiblissent considérablement l’immunité en raison du stress, constituent des facteurs hautement favorisants.